lundi, octobre 31, 2011

Sur un malentendu...

(A la manière de David Foenkinos)

Richard venait d’entrer dans le café. Il ne passait que très rarement Grand’Rue à cette heure-ci, encore moins pour y boire un café. Tout est toujours question de circonstances dans la vie. Ce matin-là, il s’était mis à pleuvoir à verse sur Strasbourg. Une pluie comme on en voit peu en août. Une pluie qu’on ne peut ignorer. Richard avait été obligé de se réfugier au café. Il s’installa à une table et se tourna aux trois-quarts pour passer commande. C’est alors qu’il vit Marie. C’était comme une apparition, une naissance improbable dans son champ de vision. Elle lisait un livre en anglais en sirotant un thé. Il avait su déchiffrer le titre de loin : The summer without men. Il se mit à penser à la signification d’un tel choix. Il ne pouvait se résoudre à imaginer une femme si belle dans la solitude de sa chambre et de son quotidien. Non, décidément, ce livre ne pouvait être qu’un appel à l’aide. Une façon délicate d’attirer l’attention des hommes. Comme un message codé. Au dehors, la pluie n’en finissait pas de tomber. Ce n’était pas une coïncidence, mais plutôt un signe. Richard avait maintenant la certitude qu’il devait aborder Marie.
Rien dans son apparence ne laissait suggérer sa nationalité. Elle lisait un livre en anglais, mais de nos jours, beaucoup de gens préfèrent l’authenticité de la version originale à l’imprécision de la version traduite. Comment savoir ? Il valait quand même mieux qu’il lui parle en anglais. On verrait par la suite. Des idées de phrases d’accroche se bousculaient dans sa tête, mais aucune ne lui plaisait vraiment. Richard, plongé dans sa rêverie, était maintenant suspendu aux gestes de Marie et en oubliait de boire son café. C’est en regardant l’horloge, plus par réflexe que par réelle curiosité, qu’il se rendit compte qu’il était resté ainsi immobile pendant plus d’une heure, envoûté par les gestes de Marie, happé par ses respirations.

***
Idées de phrases d’accroche pour aborder Marie

-How do you today ?

-Is this a book good?

-Strasbourg is nice?

-Do speak French?

-Are you fucking?

***
Richard sentit qu’il était temps de se jeter à l’eau. Il prit son courage à deux mains et marmonna une question entre ses dents, question qui s’avéra parfaitement incompréhensible. Il fit cependant suffisamment de bruit pour que Marie lève la tête. Elle lui sourit et lui demanda de répéter. Richard comprit à cet instant que Marie était la femme de sa vie. Il balbutia autre chose en français cette fois, et puis les mots lui vinrent aux lèvres de plus en plus facilement. Il déversa des flots de paroles comme quelqu’un qui n’a pas parlé depuis des mois, quelqu’un qui aurait fait un long séjour dans le désert et qui reviendrait enfin à la civilisation. Il prit le silence de Marie pour de la fascination. Sa future femme aimait tellement l’écouter qu’elle ne voulait pas l’interrompre. Elle ne voulait sans doute pas qu’il perde le fil. Puis Richard vit dans les yeux de Marie ce qu’elle n’osait pas lui dire. Ils ne pouvaient pas se quitter comme ça. Il fallait qu’ils se revoient. Il lui donna son numéro de téléphone, Marie l’appela immédiatement pour qu’il ait bien le sien. Elle finit son thé et se dirigea vers les toilettes. Richard eut l’impression que ces quelques minutes ne finiraient jamais. Les femmes aiment faire attendre les hommes, ça fait partie du jeu de séduction. Quand elle ressortit, Richard pouvait difficilement cacher son émotion. Il n’avait encore jamais vu Marie s’avancer vers lui. Le sentiment qu’il avait éprouvé en la découvrant attablée venait d'être sublimé. Il n’avait pas imaginé que le mouvement donnerait à Marie une beauté aussi remarquable qu’indicible. Il l’accompagna au bout de la rue. Au moment de la séparation, une gêne s’installa entre eux. Comment n’avait-il pas pensé à ça ! Marie n’osait pas l’embrasser, bien évidemment. Il sentit qu’à cet instant elle avait besoin de galanterie : « Je peux vous faire la bise ? » Il la regarda s’éloigner rapidement. Elle était sûrement sous le coup de l’émotion, elle aussi.

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Idées de phrases polies pour faire partir Richard

-Désolée, je dois partir. J’ai piscine.

-J’aimerais vraiment finir ce livre.

-Quelle heure est-il ? Déjà ?!! Je dois y aller, je suis en retard.

-No comprendo.

-Et ta sœur ? (pas très poli, mais efficace)

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Richard pensa souvent à Marie durant les trois semaines qui suivirent. Mais en rejouant leur rencontre dans sa tête, il se souvint de la volupté suscitée par l’attente lorsque Marie était allée aux toilettes. Lui aussi voulait se faire désirer. Lui aussi voulait que Marie l’attende et chérisse le moment où il s’avancerait vers elle. Il résista à l’envie de l’appeler. Il dût se retenir environ deux fois par jour. Puis la quatrième semaine arriva, pleine de promesses et de légèreté. Richard composa le numéro de Marie. Après les cinq sonneries, le répondeur s’était déclenché. Richard essaya à nouveau. On oublie toujours de réactiver la sonnerie après le cinéma ou le rendez-vous chez le coiffeur. Il n’y avait rien de surprenant à ce silence. Il n’avait même pas demandé à Marie si elle se servait souvent de son portable. Il était possible qu’elle fasse partie de ces gens qui préfèrent les rendez-vous face à face. A partir de ce jour, Richard essaya d’appeler Marie trois à quatre fois par semaine. Il se disait qu’elle l’avait pris à son propre jeu : les femmes sont bien trop intelligentes pour ne pas savoir quand les hommes jouent au jeu de la séduction. Marie avait gagné, une fois de plus.

***

Idées de phrases pour que Richard laisse enfin tomber

-Si je ne réponds jamais au téléphone, c’est qu’il y a une raison. Arrête de m’appeler !

-J’aurais dû être plus directe avec toi. Je vais l’être maintenant : Arrête de m’appeler !

-Tu ressembles à rien, en plus. Arrête de m’appeler !

-Sur un malentendu, ça marche rarement. Ne crois pas tout ce que tu vois dans les films. Arrête de m’appeler !

-T’es con ou quoi ?? Arrête de m’appeler !

***

Ce jeudi-là, Richard avait bien commencé sa journée. Il s’était réveillé à l’heure et sans trop de difficultés. Il avait trouvé une chemise propre qu’il aimait bien cachée au fond de l’armoire. Il était fin prêt pour appeler Marie. Il avait un bon pressentiment. Cette fois serait la bonne. Le téléphone de Marie sonna une fois, puis deux. Il entendit soudain sa voix. Il eut du mal à la reconnaître. Il ne l’avait entendue qu’une fois, très peu. Il avait oublié à quel point la voix de Marie était sensuelle. Il avait pensé que ce qui lui plaisait vraiment chez Marie, c’était la façon qu’elle avait de se mouvoir, douce et déterminée. Il aimait Marie et son cinéma muet, celui qu’elle faisait juste pour lui. Il fut surpris de réaliser que la voix de Marie lui plaisait aussi, peut-être encore plus que tout le reste. Il reprit contenance et se mit à parler. Soudain, Marie utilisa sa voix si sensuelle pour lui dire une phrase. Une phrase très courte qui le surprit et le laissa sans voix. Elle avait raccroché.

2 commentaires:

Sébastien Ayreault a dit…

Je ne connais pas Foenkinos, mais ca, c'est excellent. Vrai plaisir de lecture en ce mardi matin!

Marie Morey a dit…

Merci! Je viens de finir de lire La délicatesse de Foenkinos, et ça m'a donné envie d'écrire. C'est inspiré d'une mésaventure qui m'est arrivée à Strasbourg récemment.