samedi, octobre 28, 2006

M. m'entraîna dans un magasin de cds-dvds. Je fouinai dans les bacs, égrénant des noms de chanteurs et musiciens qui m'étaient quasiment tous inconnus. Je tombai sur la BO de "Lost in translation", mais l'émotion qui me gagnait chaque fois que je pensais au film et à Scarlett Johansson mise à nu dans sa chambre d'hôtel à Tokyo semblait avoir disparu pour laisser la place à une sensation neutre et cotonneuse. Je restai plantée dans le rayon, perplexe, sans trop savoir quoi faire. Et puis ce fut comme une apparition. Les cheveux en bataille, l'air pensif, fatigué, comme s'il avait trop veillé. Et son regard, profond, semblant exprimer une indicible peine. Je me sentais chavirer, quelque chose en moi s'était brisé. Je tendis la main: "James Dean, Sweater". Je quittai le magasin en titubant. Je ne pouvais expliquer à M. qu'une simple photo m'avait bouleversée au point de me donner les larmes aux yeux.

jeudi, octobre 26, 2006

Rock'n Roll attitude

Il n'était pas très grand, le nez aquilain, les cheveux blancs et mi-longs, les yeux bleu clair. La moindre de ses paroles faisait réagir le public. Il était celui qu'on avait remplacé sans raison, sans doute parce qu'il était trop bon, et qu'il risquait de faire de l'ombre. Pete Best ne s'était jamais vraiment remis de cette décision, et cela faisait presque quarante-cinq ans qu'il parcourait le monde à la recherche de la reconnaissance qui sied à un batteur de son calibre. La salle était à moitié vide ce soir-là, mais l'essence des sixties, cette fièvre du rock'n roll qui s'était emparée de la jeunesse jusqu'à creuser un fossé de plus en plus profond entre les générations, était bien présente. Les membres du groupe, insipides et interchangeables, psalmodiaient des paroles à peine audibles, tandis que le Maître s'en donnait à coeur joie sur son instrument. Celui à qui l'on avait dit non était devenu celui qui avait dit non. Dans cette société en dégénérescence, il nous rappelait qu'il y avait eu un avant.

dimanche, octobre 22, 2006

"Mon existence s'était compliquée d'une existence nocturne entièrement différente. Le jour, j'étais un prêtre du Seigneur, chaste, occupé de la prière et des choses saintes; la nuit, dès que j'avais fermé les yeux, je devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en femmes, en chiens et en chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant; et lorsqu'au lever de l'aube je me réveillais, il me semblait au contraire que je m'endormais et que je rêvais que j'étais prêtre. De cette vie somnambulique il m'est resté des souvenirs d'objets et de mots dont je ne puis pas me défendre,..."

Théophile Gautier, La morte amoureuse.

J'ai plusieurs vies. Dès que je ferme les yeux, je me sens projetée dans un autre monde, inconnu mais familier. Je suis à C. et le centre-ville se trouve au bord de la mer. Je suis perdue, la carte géante de la ville et des environs est pourtant très claire: le centre-ville s'étend comme un bandeau le long de la mer du Nord. En contre-bas sont agglutinés des villages, tels que B., où j'ai passé mon enfance. Je sais que j'habite dans une rue proche, perpendiculaire, mais les noms que je déchiffre sur le plan ne m'évoquent rien. Et la voiture de mon amie, le point de repère infaillible, a disparu. Mais il faut pourtant que je retrouve cette maison, ou lui me retrouvera. Ce gros bonhomme autoritaire m'engueule comme s'il était mon père et me bat comme s'il pensait en avoir le droit. Planquée sous la table de la salle à manger de la voisine, j'aperçois les rosiers et les arbres du jardin. Ne pas me relever, il pourrait me voir, il a des yeux partout. H. décide d'y retourner, il n'a pas l'air trop en colère contre elle. "Je prends la voiture, il te sera facile de la repérer." Il ne faut pas qu'il me voie. Je pense l'avoir semé, mais je ne trouve plus la voiture. L'angoisse m'étreint, je suffoque, les muscles de ma nuque se crispent. Le réveil sonne, et j'éprouve toujours cette douleur dans le cou et à l'estomac, cette sensation d'être en péril. Les images de ma vie nocturne me hantent et me submergent. Je me heurte à une réalité incompréhensible et incongrue, le contact de mes pieds nus sur la moquette me donne des frissons. Le visage qui apparaît dans le miroir ne ressemble en rien à celui qui était le mien quelques heures auparavant. Je revois l'expression de colère et de cruauté sur le visage de l'homme, et je ne peux m'empêcher de m'inquiéter du sort de cette amie, de cette soeur qui est retournée là-bas.

Secret d'enfant

Quand j'étais petite fille, je me plaisais à filer en douce dans le grenier de mes grands-parents. On y accédait en ouvrant une trappe qui déroulait un escalier grinçant et assez raide. Je surmontais mon vertige pour aller fouiller dans le vieux placard installé dans un coin de la pièce, et j'en sortais les magazines lus par mon père et mes tantes quand ils étaient enfants. Je lisais certains articles, il m'arrivait même de faire les jeux et activités manuelles proposés dans le supplément. Le plaisir de la lecture se mêlait au plaisir de l'interdit. Je savais inconsciemment que je tentais de m'approprier des objets et des moments qui n'étaient pas les miens, et je fouinais dans ce passé avec délice, ouvrant les cartons poussiéreux qui portaient le prénom de mon père. Je tombai un jour sur une écriture adolescente que je ne connaissais pas, celle d'un élève peu appliqué qui n'apprenait pas ses verbes irréguliers allemands. L'homme sévère et exigeant qui me sermonnait quand mes résulats scolaires lui semblaient insuffisants, mon père, avait été autrefois ce jeune rebelle imperméable à la rigueur de la grammaire allemande. J'avais alors 8 ans, et ce 4 sur 20 me donnait un air de triomphe, m'offrait l'opportunité de répliquer, voire même de demander des explications. Je n'osai pas cependant emporter mon trophée. J'avais beaucoup trop de respect pour ce temple rempli des trésors de l'enfance de mon père. Je décidai de savourer ma victoire en secret, ne lui dévoilant que bien des années plus tard que je connaissais sa faiblesse.

jeudi, octobre 12, 2006

Vive Halloween!

Un parc d'attraction de Toronto, "Six Flags", propose à ses visiteurs un concours du plus gros mangeur de cafards pour fêter Halloween. Le gagnant se verra attribuer des pass pour toute l'année 2007 pour 4 personnes, qui correspondent à des entrées gratuites et des avantages VIP tels que la priorité à l'accès de certaines attractions. Une association de défenses des animaux, la PETA (the People for the Ethical Treatment of Animals) a essayé d'obtenir l'annulation du concours, sans succès.
Le record à battre est détenu par un Anglais, Ken Edwards, qui avait dévoré 36 cafards de Madagascar en 1 minute.

article de Reuters

mardi, octobre 10, 2006

Chanson naze

J'en ai marre des cafards
Y en a même jusque dans mon plumard

Celui-ci grimpe sur la table
Celui-là dans mon cartable

Celui-ci court sous le meuble
Celui-là tombe du placard

Un troisième boit de la liqueur
Et un autre meurt de trop boire

Empreinte du temps

"Très vite dans ma vie il a été trop tard. A dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. A dix-huit ans j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. Il me semble qu'on m'a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu'on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l'ai vu gagner mes traits un à un, changer le rapport qu'il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front des cassures profondes. Au contraire d'en être effrayée j'ai vu s'opérer ce vieillissement de mon visage avec l'intérêt que j'aurais pris par exemple au déroulement d'une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu'un jour il se ralentirait et qu'il prendrait son cours normal. Les gens qui m'avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m'ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l'ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu'il n'aurait dû. J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s'est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J'ai un visage détruit."

Marguerite Duras, L'Amant

dimanche, octobre 01, 2006

Villon le bohémien

"En ce Paris des années 1450, les diplômés universitaires étaient nombreux, trop nombreux pour trouver tous, rapidement, leur insertion dans la vie sociale et professionnelle: inactifs, désargentés, certains ne tardent pas à tourner mal, selon un processus de marginalisation progressive (...). Villon, apparemment, fut de ceux-là. Ses textes conservent l'écho des chahuts estudiantins auxquels il a sans doute participé: enlèvement de bornes, comme celle du Pet-au-Diable, dont il prétend avoir écrit le "roman", vol et mariage loufoque d'enseignes de maisons, heurts parfois violents avec la police, qui conduisent en 1453 à la suspension des cours."
Villon, Poésie complète, Introduction de Claude Thiry

Comment ne pas être frappé par l'actualité de cet extrait? Avons-nous donc si peu progressé en 6 siècles?

Il est par ailleurs intéressant de découvrir la vie de bohémien et de bandit du poète Villon, ce qui apporte un éclairage tout différent à son oeuvre. Ce jeune homme qui devient brigand, malgré une éducation accomplie. En 1455, il tue un prêtre accidentellement (légitime défense). Quelques années plus tard, il organise des vols, est mêlé à des bagarres et se retrouve en fuite, vivant parmi les saltimbanques. Il fait plusieurs séjours en prison, avant d'être condamné à être "étranglé et pendu". Il obtient grâce devant le Parlement de Paris, qui le condamne à 10 ans de bannissement de la ville. C'est suite à cette sentence qu'il disparait, définitivement.
Ses poèmes transcrivent cette marginalisation faite de fuites, d'emprisonnement et de Louange à la Cour, "testament" qu'il a souhaité laissé à la postérité.