dimanche, octobre 22, 2006

"Mon existence s'était compliquée d'une existence nocturne entièrement différente. Le jour, j'étais un prêtre du Seigneur, chaste, occupé de la prière et des choses saintes; la nuit, dès que j'avais fermé les yeux, je devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en femmes, en chiens et en chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant; et lorsqu'au lever de l'aube je me réveillais, il me semblait au contraire que je m'endormais et que je rêvais que j'étais prêtre. De cette vie somnambulique il m'est resté des souvenirs d'objets et de mots dont je ne puis pas me défendre,..."

Théophile Gautier, La morte amoureuse.

J'ai plusieurs vies. Dès que je ferme les yeux, je me sens projetée dans un autre monde, inconnu mais familier. Je suis à C. et le centre-ville se trouve au bord de la mer. Je suis perdue, la carte géante de la ville et des environs est pourtant très claire: le centre-ville s'étend comme un bandeau le long de la mer du Nord. En contre-bas sont agglutinés des villages, tels que B., où j'ai passé mon enfance. Je sais que j'habite dans une rue proche, perpendiculaire, mais les noms que je déchiffre sur le plan ne m'évoquent rien. Et la voiture de mon amie, le point de repère infaillible, a disparu. Mais il faut pourtant que je retrouve cette maison, ou lui me retrouvera. Ce gros bonhomme autoritaire m'engueule comme s'il était mon père et me bat comme s'il pensait en avoir le droit. Planquée sous la table de la salle à manger de la voisine, j'aperçois les rosiers et les arbres du jardin. Ne pas me relever, il pourrait me voir, il a des yeux partout. H. décide d'y retourner, il n'a pas l'air trop en colère contre elle. "Je prends la voiture, il te sera facile de la repérer." Il ne faut pas qu'il me voie. Je pense l'avoir semé, mais je ne trouve plus la voiture. L'angoisse m'étreint, je suffoque, les muscles de ma nuque se crispent. Le réveil sonne, et j'éprouve toujours cette douleur dans le cou et à l'estomac, cette sensation d'être en péril. Les images de ma vie nocturne me hantent et me submergent. Je me heurte à une réalité incompréhensible et incongrue, le contact de mes pieds nus sur la moquette me donne des frissons. Le visage qui apparaît dans le miroir ne ressemble en rien à celui qui était le mien quelques heures auparavant. Je revois l'expression de colère et de cruauté sur le visage de l'homme, et je ne peux m'empêcher de m'inquiéter du sort de cette amie, de cette soeur qui est retournée là-bas.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

...[silence ébahi]...

superbe!

Marie Morey a dit…

Contente que ça te plaise ;)